Le vertigineux Baldur's Gate 3

Retenu en otage à bord d'un vaisseau, on vous a infecté d'un parasite qui, tôt ou tard, vous transformera en une créature tentaculaire d'une race appartenant à une autre dimension. Par chance, le vaisseau s'écrase sur une plage déserte. Vous voilà alors au début d'un long voyage à l'objectif double : chercher un remède et regagner votre cité natale. 

Bienvenue dans Baldur's Gate 3, un jeu de rôle fantasy basé sur Donjons & Dragons, le système le plus répandu de jeu de rôle papier. 

Avant de plonger dans ma présentation/recommandation de ce jeu, une petite remise en contexte s'impose : ma relation au jeu de rôle sur table est pour le moins mitigée. 

En effet, en bonne introvertie qui déteste être le centre d'attention, qui ne sait pas jouer la comédie et qui n'est pas du tout douée en maths, le jeu de rôle m'a toujours rebutée. J'ai participé à mon premier JDR en janvier 2019, et le résultat était, comme prévu, un désastre. Compréhension zéro et malaise total. Avance rapide jusqu'en 2021 : je découvre Critical Role, une websérie dans laquelle un groupe de doubleurs américains filment leur aventure D&D. Et là, j'adore. J'ai suivi l'intégralité de l'une de leurs campagnes, c'est-à-dire 500 heures qui m'ont accompagnée pendant un an et demi. Autant d'heures durant lesquelles j'ai appris sur le tas à comprendre les règles du système de jeu et apprécier l'expérience narrative que peut offrir un jeu de rôle papier.

Certes, apprécier voir des professionnels jouer à un jeu de rôle, y jouer soi-même sur table et y jouer soi-même dans un jeu vidéo sont trois expériences relativement différentes. Il est néanmoins certain que sans l'expérience acquise avec Critical Role, j'aurais eu bien du mal à voir le charme et comprendre le fonctionnement de Baldur's Gate 3, qui par sa nature est un genre de jeux auquel je n'ai jamais touché auparavant.

Depuis peu, ma relation au JDR et à D&D est moins négative, mais ce n'est pas pour autant que j'avais envie d'y rejouer moi-même, et surtout, je ne m'intéressais pas à Baldur's Gate 3. Je n'avais pas du tout prévu d'y jouer. Cerise sur le gâteau, je n'accroche que très peu aux univers peuplés de mages, d'elfes et autre créatures magico-fantastiques. Pourtant, j'ai lancé le jeu par curiosité, et bim badaboum, il est devenu mon jeu le plus joué de tous les temps... qu'a-t-il de si spécial pour être aimé par une quasi-réfractaire du jeu de rôle papier sauce Donjons & Dragons ?





Liberté et maturité

La spécificité de Baldur's Gate 3 qui frappe le plus aux yeux, c'est la liberté qu'offre le jeu et la maturité qui en découle. C'est un jeu qui offre tant de possibilités qu'un même joueur peut faire deux deux parties l'ambiance opposée. On peut incarner un personnage totalement bienveillant, complètement diabolique ou bien neutre. On peut séduire tout le monde et profiter des scènes de romance et de sexe, ou bien on peut faire vœu de chasteté. Vous pouvez être un honnête bienfaiteur et voler, intimider, persuader ou tromper quand ça vous arrange. Vous pouvez même tuer tout le monde sans aucune raison, notamment en incarnant un personnage spécial habité de pulsions meurtrières. Y résistera-t-il, ou bien s'y donnera-t-il à cœur joie ? Le choix vous revient. 

C'est un degré de liberté et de maturité que je n'ai jamais vu dans un jeu vidéo. BG3 ne nous prend pas par la main. Chaque action, chaque victoire et chaque défaite a des conséquences, et qu'il s'agisse des choix à faire, de la personne à être, des lieux à découvrir, des relations à nouer, des quêtes à effectuer, Baldur's Gate 3 ne nous force jamais à faire quoi que ce soit. Le déroulé de toute notre aventure est entre nos mains... et ce n'est que la première étape du vertige.


Un jeu de rôle papier dans un jeu vidéo

Baldur's Gate 3 fonctionne d'après les règles de Donjons & Dragons, où le résultat de beaucoup d'actions est déterminé par des jets de dé. Attaquer, mentir, s'échapper, crocheter une porte, détecter une présence magique, se rappeler de l'histoire d'un lieu et bien d'autres encore sont autant d'actions qui peuvent se solder aussi bien une réussite qu'en un échec, parfois même critique. Entre les jets de dés et les innombrables actions et sorts à notre disposition, c'est un système de jeu complet, peut-être même complexe, mais c'est justement ce qui permet l'immense liberté de Baldur's Gate 3. 

Quand les dés ne sont pas en votre faveur ou que vous n'avez pas le bon sort, vous pouvez relancer votre partie et retenter votre chance, mais vous pouvez aussi vous laisser porter par les conséquences de la victoire ou de la défaite, qu'elles soient minimes, tragiques, drôles ou surprenantes. Pour moi, ce hasard fait partie intégrante du charme du jeu. La victoire me sauve la vie ou me permet de réaliser mon plan, et de son côté, la défaite me pousse souvent à trouver une autre solution, à redoubler de créativité ou de réflexion, à utiliser tout l'arsenal que propose le jeu. Il en va de même pour les combats ardus : gagner facilement est satisfaisant, mais échouer est loin d'être inintéressant. C'est une opportunité d'aborder le combat différemment, essayer de nouvelles stratégies ou bien élaborer tout un stratagème pour contourner le problème.

Aperçu de mes propres personnages


Un jeu vertigineux
Baldur's Gate 3 est tout simplement colossal. Le jeu compte un total de 170 heures de cinématiques et 248 acteurs qui ont prêté leur voix et leur gestuelle à des milliers de personnages. Beaucoup de studios utilisent la capture de mouvement pour donner vie aux dialogues les plus importants, mais Larian ont fait le choix d'utiliser cette technique sur l'ensemble du jeu, ce qui confère à chaque dialogue et personnage une âme, une profondeur, un réalisme et un humanisme rarement voire jamais vu à une telle échelle. 

Ma première partie, durant laquelle j'ai effectué la majorité des quêtes et visité la majorité des lieux mais clairement pas tous, aura duré 183 heures. C'est énorme en soi, alors explorer tout le contenu disponible et jouer avec un ou plusieurs autres personnages et effectuer tous les choix possibles augmentent la durée de vie du jeu de façon si exponentielle que c'en est vertigineux. Il n'a pas été rare que mon conjoint me parle d'une zone que je n'ai pas vue, et jouer deux personnages aux classes et aux mentalités différentes nous a donné des dialogues complètement différents et des conséquences opposées.

C'est un jeu qui bénéficie d'un niveau astronomique d'attention au détail. Les visages sont photoréalistes, la musique est sublime et n'est pas sans surprises, les interactions avec les personnages principaux sont fréquentes, les zones cachées ou accessibles seulement sous certaines conditions sont incroyablement nombreuses, et simplement revisiter les coffres et portes que l'on a pas réussi à ouvrir peut prendre des heures. Beaucoup de dialogues sont, quant à eux, uniques et situationnels : par exemple, vous n'aurez un certain dialogue que si vous avez rempli plusieurs conditions, ou que vous avez une combinaison personnages précise dans votre équipe, ou bien uniquement si vous avez atteint un niveau spécifique d'affinité avec quelqu'un. Par ailleurs, on peut voir des heures plus tard les conséquences directes d'un choix précis que l'on fait dans un dialogue totalement optionnel, cette conséquence pouvant elle-même être influencée par d'autres éléments.



Baldur's Gate 3, c'est aussi un monde qui traverse un large panel d'univers et d'ambiances. Au fil de l'aventure vous pourrez vous promener dans des forêts féériques, visiter des souterrains où vivent d'étranges civilisations, des temples mystiques, des camps de gobelins ou encore des zones gothiques à la Bloodborne, sans même parler de la ville de Baldur's Gate, immense cité peuplée aussi bien d'humains que de descendants de dragons ou d'imposants automates tout droit sortis du steampunk.

Baldur's Gate 3 est un jeu au contenu gigantesque et au détail minutieux, mais il est également porté par son histoire, et surtout, ses personnages.


Compagnons & histoire

Côté narration, l'histoire principale est simple mais se déroule dans un univers très vaste, et surtout, elle est complétée par de nombreuses quêtes annexes détaillées. En fait, ici le principal et le secondaire ne font qu'un. Vous avez quelques quêtes à faire obligatoirement afin d'atteindre le boss final, mais celles-ci sont peu nombreuses. C'est à vous de façonner votre propre aventure en choisissant les quêtes secondaires qui vous intéressent et qui feront partie intégrante de votre expérience. La différence entre principal et secondaire est donc ici bien relative, ce qui est particulièrement agréable.

Côté personnages, il y en a pour tous les goûts. Que vous soyez team vampire séducteur, barbare à la rage de vivre, druide bienveillant ou encore prêtresse d'un culte de l'ombre, il y a peu de chances qu'aucun compagnon ne vous satisfasse. Je n'ai pas pu m'attacher à tous les personnages principaux, mais ceux que j'aime ont profondément marqué mon expérience de jeu et leurs quêtes sont d'une telle richesse qu'il m'est impossible de les qualifier de secondaires ou annexes. Chaque compagnon est doté d'une histoire personnelle et d'une personnalité bien définies, qui vont influer sur sa vision et, si on le souhaite, sur le déroulé de l'histoire principale. Je me dois également de mentionner la narratrice, la maîtresse du jeu invisible mais qui, par sa seule voix, est notre guide et notre compagnon, apportant aussi bien immersion narrative que touches d'humour.

De manière générale, je m'attache très vite et très fort aux personnages de fiction, c'est un important aspect de ma personnalité et de ma vie quotidienne. Baldur's Gate 3 a pourtant réussi a me faire vivre des relations d'une intimité sans précédent. Je joue des personnages qui ne sont pas des copies conformes de moi-même, et pourtant, ma relation aux compagnons est très forte et intime. Qu'elles soient bouleversantes, drôles ou torrides, chaque compagnon possède son lot de scènes d'une intimité et d'une intensité folles. Je pense tout particulièrement à Astarion, Karlach, Gale et, même s'il n'est (malheureusement) pas un compagnon, Raphael, dont les personnalités sont vives, les histoires intéressantes et le jeu d'acteur irréprochable.


J'ai dis plus haut que le jeu est d'une maturité exemplaire, et cela est également visible au travers des thématiques qu'il explore. Fanatisme religieux, torture, manipulation amoureuse ou esclavage sexuel, pour n'en citer que quelques-uns, sont des thèmes que l'on peut retrouver chez nos compagnons. La réussite de Larian est ici double : avoir eu le courage d'explorer des thèmes aussi difficiles, et l'avoir réalisé à la perfection. L'intégration sans tabou de telles thématiques, traitées en profondeur et avec respect, donne lieu à des scènes d'une puissante intensité émotionnelle. Enfin, je me dois de mentionner l'aspect LGBT, lui aussi très bien traité. En plus d'un couple formé par deux PNJs lesbiennes, chaque compagnon a la capacité d'être attiré par le personnage du joueur, pouvant ainsi créer des relations de même genre si on le souhaite, et quelques-uns sont également non-monogames ou polyamoureux, un sujet très souvent mal compris qui est introduit ici sans aucun faux-pas. 



Conclusion

Baldur's Gate 3 est une expérience vaste et grandiose. C'est un jeu qui bénéficie d'un niveau de détail hors du commun, d'une richesse tout simplement hallucinante et d'un gameplay qui réplique à la perfection les mécaniques d'un jeu de rôle papier. 

Mes préférences gaming ont deux constantes : a) je n'ai que rarement envie de rejouer à un jeu, en tous cas je ne le fais jamais deux fois d'afilée, et b) dans les jeux où peux créer mon propre personnage, je n'ai jamais eu l'envie de me créer deux personnages différents. BG3 est tout l'inverse : j'ai relancé une partie dès la fin de ma première aventure, et je l'ai fait avec un deuxième personnage qui n'a rien à voir avec le premier. Pour moi, ça en dit long sur la prouesse de ce jeu, qui est de très loin mon GOTY - mon jeu de l'année.



Petite réflexion finale...

Baldur's Gate 3 n'est pas sans défauts : la caméra est trop restrictive, changer d'arme requiert d'utiliser toute l'action disponible lors d'un tour, et même si j'ai personnellement été chanceuse, le jeu est truffé de bugs. Pourtant, ces défauts sont presque universellement vus comme minimes au vu du contexte du jeu et de sa qualité globale.

Les points positifs de BG3 sont si nombreux que le jeu a, dès sa sortie, fait émerger un débat : un tel niveau de travail devrait-il être considéré comme un nouveau standard dans l'industrie du jeu vidéo ? les joueurs devraient-ils espérer que leurs jeux ressemblent un peu plus à Baldur's Gate 3 dans l'avenir ? 

Il me semble irréaliste d'exiger que tous les studios quintuplent leurs efforts pour arriver à la cheville de Larian, tout particulièrement à l'heure où la production d'un seul jeu peut coûter des milliards. Néanmoins, je pense que nous sommes en droit de demander mieux. Si un petit studio est capable d'une telle prouesse, pourquoi devrait-on accepter les crises de flemme voire les dérives désastreuses et l'appât du gain des multinationales ?

Je suis en général assez peu regardante sur l'enrobage d'un jeu, préférant me concentrer sur son fond bien plus que sa forme. Néanmoins, après plus de 230 heures dans un jeu où chaque dialogue est entièrement animé, comment me contenter d'un jeu plus gros avec des personnages statiques ? Comment ne pas tiquer sur la réutilisation en boucle des mêmes animations ? Après ce BG3 où chacune de mes décisions a une réelle conséquence et où chaque quête a un réel intérêt, comment ne pas m'exaspérer face à la liberté illusoire et aux innombrables quêtes fedex ? Comment m'intéresser aux potentielles relations entre mon personnage et ceux qui peuplent le monde quand je vois bien que cela ne mènera à rien, que tout est superficiel et sans âme, sans profondeur, sans vulnérabilité, sans développement tangible ?

Final Fantasy XVI n'est pas sans ses quêtes au fonctionnement répétitif et sa réutilisation en boucle des mêmes animations, peu importe qu'il s'agisse d'un vieillard ou d'une jeune femmes. Starfield, de son côté, a des dialogues statiques vus de face avec des expressions faciales quasi-inexistantes, sans parler de sa vision des relations amoureuses qui est très limitée, voire plate et transactionnelle. Au début, je me disais que c'était dommage, mais que dans l'ensemble ce n'était pas grave. Maintenant, je me demande s'il devrait être acceptable de voir une telle différence de qualité entre deux jeux produits par des mastodontes incontestés de l'industrie et un jeu d'un studio bien plus modeste, sortis tous les trois à un seul mois d'écart. 

Baldur's Gate 3 est une sublime expérience en soi, mais c'est aussi un espoir d'un avenir meilleur pour l'industrie du gaming. À l'image de Death Stranding mais pour bien d'autres raisons, Baldur's Gate 3 est aussi bien une bouffée d'air frais dans ma propre expérience qu'un ovni dans le paysage vidéoludique actuel. Quand un jeu a autant marqué mon expérience et qu'il est autant porteur de sens sur le gaming dans son ensemble, je ne vois qu'un seul mot qui puisse correctement le définir : Baldur's Gate 3 est un chef-d'oeuvre, purement et simplement.

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